1,5 Md€ ! C’est le montant absolument ahurissant confisqué par les pirates aux industries de l’audiovisuel et du sport en 2023, selon une étude révélée le 28 novembre par l’Arcom. Et ces chiffres ne cessent de croître.
Mais plutôt que de parler de “pirate”, mot connoté positivement dans notre langue depuis Astérix et Jack Sparrow, ne faudrait-il pas plutôt parler de de voyous ou de malfrats issus tout droit de mafias installées à l’étranger et qui vampirisent les filières de la création et du sport ?
Qui accepterait qu’une personne entre à la FNAC et reparte avec deux livres, 3 vinyles et les derniers jeux vidéo sans faire un détour par la caisse ? Personne ! Quel journal accepterait-il qu’un passant prenne l’édition du jour dans un kiosque sans payer ?
Et encore, en faisant cela, ces personnes ne seraient que des voyous comme les autres, alors que les plateformes de pillage financent des réseaux terroristes, volent vos données personnelles et infectent vos ordinateurs de virus, en se moquant bien que vous leur versiez quelques dizaines d’euros par an. Elles diffusent aussi des films pornographiques sans aucun contrôle d’âge et des chaînes totalement interdites comme celles de la propagande russe ou des islamistes radicaux.
Mais, visiblement, tous ces arguments ne portent pas : l’étude de l’ARCOM révèle que 59% des consommateurs illicites considèrent que leur comportement est… licite.
Mais, au fait, qui sont ces consommateurs de services illégaux ? Contrairement à l’image répandue, le pirate moyen est un homme, urbain, CSP+ de 35 ans. Et c’est le bouche-à-oreille qui alimente le mieux la piraterie.
L’étude montre aussi que, contrairement à ce qui a été écrit et raconté depuis des mois, ce n’est pas le prix qui explique cette situation, mais le confort des contrevenants : la possibilité d’avoir toutes les offres, le sport, le cinéma, les chaînes payantes, les films et les plateformes de SVOD grâce à un seul petit boitier IPTV (télévision par internet) est la principale explication.
Il est vrai que la dispersion depuis 4 ans du football français, le sport roi, sur plusieurs plateformes alors qu’il était, auparavant, facilement accessible sur l’offre de Canal ou des fournisseurs d’accès internet (Orange, SFR, FREE et Bouygues Télécom) n’a rien arrangé. Cela a rendu la vie des abonnés très compliquée. Mais cela n’excuse rien ! Ce n’est pas parce que des produits culturels sont disponibles dans deux magasins différents que vous allez les volez sans vergogne.
Depuis que l’ARCOM a récupéré la gestion des blocages des sites IPTV illégaux il y a 3 ans, beaucoup a pourtant été fait. Des milliers de sites bloqués grâce au travail sans relâche de ses équipes. Malgré cela, 55% des téléspectateurs du Classico OM/PSG, le 27 octobre dernier ont regardé le match via des sources illégales !
À ce rythme, c’est tout simplement le modèle économique de la télévision qui est totalement remis en cause par les 4 millions d’internautes utilisant des services IPTV illicites : les éditeurs payants, membres de l’ACCES, la télévision gratuite, financée par la publicité puisque ces téléspectateurs n’entrent pas dans le calcul des audiences, les producteurs audiovisuels, dont le manque à gagner est évalué à 250 millions d’euros et les distributeurs (Canal + et les fournisseurs d’accès) à hauteur de 290 millions d’euros l’an dernier. Enfin, l’État français, qui perd environs 420 millions d’euros de potentielles recettes de TVA et cotisations sociales. Au moment où nous cherchons partout de nouvelles recettes, en voici une à ne pas négliger.
Faut-il pour autant baisser les bras devant ce tsunami pour l’audiovisuel et les mafias qui l’organisent de l’étranger ? Absolument pas !
D’abord parce que les exemples de nos voisins démontrent qu’une lutte de tous les instants permet d’obtenir des résultats concrets. Ainsi, les mesures prises en Italie, au Portugal, en Grèce et au Canada par les pouvoirs publics ont permis de mettre à mal les malfrats du net et de transférer vers les offres légales une partie des pirates. En Angleterre, c’est la Premier League, l’équivalent de la LFP, qui a obtenu d’excellents résultats en déployant des moyens à la mesure de ceux mis en place par les sites illégaux.
Alors pourquoi la France est-elle à la traîne ? Sans doute parce que le cadre juridique actuel oblige à des procédures encore trop lourdes alors que le piratage concerne surtout des événements en live. Il faut donc être capable d’intervenir juste avant les matchs ou pendant. Cela demande une agilité que la loi ne permet pas encore totalement.
Le combat des chaînes de télévision payante est donc le même que celui du mouvement qui, à travers l’APPS (Association de Protection des Programmes de Sport) demande la création en urgence en France d’un délit sanctionnant le piratage sportif comme il existe déjà pour protéger les oeuvres audiovisuelles ou cinématographiques. Cette étape permettrait de faire condamner aussi bien les sites IPTV que ceux qui font la promotion des offres interdites ou commercialisent les fameux boitiers. Cela permettrait notamment de bloquer la reprise par les mafieux du piratage, des chaînes étrangères diffusant des matchs légalement sur leur territoire en basculant leur signal pour le mettre à disposition dans d’autres pays. C’est une étape fondamentale car le sport, et notamment le football, sont les catalyseurs du développement du piratage. Une fois qu’un internaute est tombé dans l’offre illégale, il y reste par confort d’utilisation.
Des élus ont compris qu’il était urgent d’agir et que ce phénomène, au-delà des dégâts sur une filière industrielle nationale, relevait désormais de l’ordre public. Espérons qu’ils seront écoutés et rapidement suivis !
Nous sommes tous concernés : les organisateurs de compétition sportives, l’État, les chaînes de télévision payantes et gratuites, les producteurs, les distributeurs, ainsi que les consommateurs exposés à des risques qu’ils ne soupçonnent pas. Nous connaissons tous des personnes qui se sont laissé tenter. Il faut, à la fois continuer à être pédagogue face à ce fléau et armer notre système répressif sans faiblir.
Il y a urgence de se débarrasser de cette gangrène mortifère qui menace nos industries !
Valérie Gilles-Alexia, présidente et Eric Brion, délégué général de l’ACCES (Association des Chaînes Conventionnées Editrices de Services)
Tribune publiée sur Ecran Total